mardi 28 septembre 2010

Des hommes et des dieux


Nous vivons une époque où il est de bon ton de fustiger les chrétiens, l’Eglise catholique en particulier. Pourtant, au milieu des protestations indignées – mais de bon aloi – à propos des prêtres pédophiles, un film rencontre un franc succès : le magnifique film de X. Beauvois, qui retrace les derniers mois de la vie des moines de Tibéhirine, assassinés par un groupe d’islamistes fanatiques en 1996.
Ce film est émouvant à bien des titres, d’abord par la plongée dans la vie monacale : dès la première scène, le ton est donné : on est dans le monastère, les 8 hommes célèbrent l’office ; ils sont très recueillis puis chantent à l’unisson, a capella. C’est ainsi que l’on va cheminer, tout au long du film, avec ces hommes qui ont choisi de se consacrer à Dieu et à leurs prochains : chacun occupe une fonction, l’un s’occupe du potager, l’autre de l’intendance… ; les figures les plus marquantes étant Frère Luc, le médecin qui se consacre aux villageois pauvres ,et Christian, qui dirige la communauté et fait, le premier, le choix de rester ; il montre une fermeté remarquable lors de la première incursion du GIA dans le monastère.
Ensuite, il y a les paysages arides de l’Atlas, la chaleur, la poussière, la neige l’hiver, la tempête dans laquelle les silhouettes des moines vont s’effacer peu à peu.
Le film nous émeut par les réflexions qu’il suscite : que signifie devenir moine et consacrer sa vie à Dieu ? Qu’est-ce que vivre en communauté ? Que faire face au danger ? Fuir ou résister ? Le film est scandé par les scènes où les moines se réunissent pour savoir ce qu’il convient de faire ; les antagonismes se font jour, certains aspects les moins nobles des hommes se dévoilent, la tension est palpable à plusieurs reprises, jusqu’à ce que la grâce l’emporte et qu’ils décident unanimement et tacitement d’aller jusqu’au bout de leur foi, du don d’eux-mêmes.
Le film nous émeut par les choix opérés par Xavier Beauvois pour filmer ces huit hommes : les gros plans sur les visages, les mains, les scènes de repas, depuis le dîner ordinaire, où ils partagent un plat de frites jusqu’au dîner qui scelle leur apaisement face à la peur et au danger imminent, qui n’est pas sans rappeler la Cène.
On voit ici des hommes qui ont consacré leur vie à Dieu, qui ont aimé et aidé leurs prochains – Frère Luc soigne, une nuit, un islamiste blessé qu’on lui amène au monastère, comme il soigne tous les villageois qui viennent le consulter pour des pathologies plus ou moins sérieuses – qui ont œuvré pour le rapprochement des cultures, des chrétiens et des musulmans : ils étaient proches des villageois, qui les appréciaient et les invitaient lors de cérémonies familiales. Par leur abnégation, leur force, leur résistance, ces hommes ont gagné, toutefois, une dimension d’icones, si bien que l’on peut dire qu’ils étaient hommes et sont devenus des dieux.
Valérie Faranton
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Date de sortie cinéma : 8 septembre 2010
Long-métrage français . Genre : Drame
Durée : 02h00min Année de production : 2010
Distributeur : Mars Distribution 
Synopsis : Un monastère perché dans les montagnes du Maghreb, dans les années 1990. Huit moines chrétiens français vivent en harmonie avec leurs frères musulmans. Quand une équipe de travailleurs étrangers est massacrée par un groupe islamiste, la terreur s’installe dans la région. L'armée propose une protection aux moines, mais ceux-ci refusent. Doivent-ils partir ? Malgré les menaces grandissantes qui les entourent, la décision des moines de rester coûte que coûte, se concrétise jour après jour…

Ce film s’inspire librement de la vie des Moines Cisterciens de Tibhirine en Algérie de 1993 jusqu’à leur enlèvement en 1996.

lundi 20 septembre 2010

jeudi 2 septembre 2010

Quelques remarques sur le suicide dans l'Egypte ancienne


9782915867312FS A propos du livre de Sydney Aufrère, Pharaon foudroyé. Du mythe à l’histoire. Éditions Pages du monde, Paris, 2010, 368 pages. ISBN 978-291586-31-2. 

A notre époque où le suicide, sous la forme de l’euthanasie ou du suicide assisté, apparaît aux yeux de certains comme une manifestation de la liberté individuelle, il nous semble intéressant de voir comment se posait la question du suicide dans l’Antiquité. Nous nous intéresserons aujourd’hui aux conceptions qui prévalaient dans l’Egypte ancienne, en nous appuyant sur la publication récente de Sydney Aufrère, dont Catholicae disputationes a fait précédemment une recension[1].
L’auteur établit un  clivage entre la culture traditionnelle et la culture fortement marquée par la  culture grecque.

Dans la culture traditionnelle, on contraint le criminel à se suicider. On veut éviter ainsi la souillure qu’entraînerait une exécution. Il semble que le suicide soit considéré comme la pire des sanctions à l’égard des criminels. Il représente la volonté d’écarter les individus nuisibles pour la société du corps social. Sous le règne des Ramsès III, les conjurés ayant participé à la conspiration du harem sont condamnés à mettre un terme à leur existence. On voit d’ailleurs la différence entre ceux qui devaient se suicider sur le champ et ceux à qui on accordait le privilège de se supprimer « à domicile ». Certains hiéroglyphes en disent long sur le désir de voir disparaître certains êtres nuisibles. Ces représentations sont des incitations magiques.  Le hiéroglyphe, qui avait une vie propre, est susceptible de porter atteinte au propriétaire d’une tombe.  Un cas de suicide préventif est décelable dans les déterminatifs de mots signifiant « défunt » ou ennemi » de façon que ces derniers ne viennent pas hanter les vivants. On sait que le déterminant définit la catégorie dans laquelle évoluent les mots. Les ennemis représentent des candidats au suicide par excellence : l’ennemi  a vocation à abréger de lui-même son existence.  
A cette conception ancienne s’oppose une conception récente fortement empreinte de la  civilisation grecque.
Sydney Aufrère illustre son propos en évoquant quelques cas qui mettent bien en lumière cette empreinte.
Hérodote (II 129-130) rapporte une tradition selon laquelle Mykérinios s’éprit de sa fille et lui fit violence. Il s’ensuivit une série de faits tragiques : la jeune fille s’étrangla, sa mère fit couper les mains des servantes qui l’avaient livrée à son père, les statues représentant les servantes subirent le même sort. Son père l’ensevelit dans une vache. Or les relations incestueuses n’étaient pas  considérées comme immorales dans l’Egypte ancienne. L’attitude de Mykérinios, qui se suicide, laisse à penser qu’il s’agit d’une concession à l’hellénisme (Voir le Mythe des Danaïdes). Ainsi « la fille de Mykérinios se comporte à la manière d’une héroïne grecque face à un tyran égyptien » (Aufrère, p. 286). Selon S. Aufrère, Hérodote pensait à la pendaison, mort maudite par excellence,  sanctionnant les crimes d’inceste. En Grèce, il s’agit, en effet, de la punition que s’inflige la victime. Rappelons que ce supplice, comme dans d’autres civilisations indo-européennes, tend à faire en sorte que la personne suppliciée ne contamine pas le sol avec lequel elle n’a plus de contact.
Le suicide de Sésoôsis est relaté par Diodore de Sicile (I, LVIII). Selon S.  Aufrère, ce récit de Diodore constitue le seul endroit de toute la littérature se rapportant à l’Égypte, où soit faite l’apologie du suicide d’un souverain.  Après avoir surpassé ses prédécesseurs, le souverain, entré dans une phase de sénescence, décide de rejoindre le Léthé. Il était, en effet,  atteint par la cataracte qui annonçait, pour les Egyptiens, la mort ou la sénilité. On a supposé, à tort, que ce passage serait une prise de position favorable au suicide royal. En réalité, il s’agit d’un texte qui pose, la problématique de la vieillesse et de la mort, d’une manière typiquement grecque : il est surtout question ici du respect dû au vieillard et aux misères du grand âge.
Le type de mort que choisit Nitocris s’oppose à la conception de la vie et de la mort en usage en Egypte. Nitocris disparaît dans l’incendie qu’elle a provoqué. Or, pour les Egyptiens, la disparition du corps par le feu empêche toute vie posthume et risque de condamner l’âme du consumé à une recherche perpétuelle de son corps. De fait, la condamnation au bûcher était une des peines les plus infâmantes. Elle était appliquée pour les femmes adultères, les parricides ou le blasphème contre Osiris.
Le suicide de Cléopâtre VII Théa est évidemment le plus connu du lecteur moderne. La mort revêt la forme d’un aspic dissimulé sous des feuilles dans une corbeille de figues. Il s’agit, en réalité, plus d’une mort théâtrale que d’un fait réel, mais il n’en demeure pas moins que l’aspic ou le cobra est l’animal susceptible d’infliger la mort la plus rapide et la moins douloureuse.
En revanche la mort de Tachos ou Teos ne relève pas du suicide. Le  deuxième souverain de la XXXe dynastie, obligé de se réfugier en Perse après sa défaite contre la dynastie achéménide, semble avoir pâti d’un régime inapproprié. La mort de Téos, en raison d’un régime alimentaire inadapté, emprunté aux Perses, va dans le sens de la critique formulée par les grecs à l’égard de la « gastrôlatrie perse », considérée comme un signe de mollesse orientale (Aufrère, 297).
Conclusion
On voit donc, à travers l’analyse diachronique du suicide, la transformation de la conception traditionnelle du suicide sous l’influence grecque. Maudit à une époque ancienne, fortement associée à la religion et à la magie, il prend, sous l’influence grecque, une autre signification : la conception traditionnelle s’estompe et une modification fondamentale semble s’opérer : le suicide qui est infâmant selon la culture traditionnelle propre à l’Egypte devient une façon d’exalter la figure d’un personnage. On voit très bien, à travers l’exemple du suicide, les divergences qui existent entre les mythes et l’histoire, qui constituent la trame du livre.
 Valérie Faranton, Université d’Arras


[1] Éditions Pages du monde, Paris, 2010, 368 pages. ISBN 978-291586-31-2. Compte rendu sur le site de Catholicae disputationes, le 2 avril 2010.