mercredi 11 août 2010

Le Sel de la terre été 2010


Toujours aussi passionnant ce numéro brille par sa diversité comme par son sens de la vérité. Retenons cette formule prononcée par Marcel Lefèvre, simple prêtre et rappelée opportunément dans la recension consacrée aux homélies de Mgr Lefèvre[1] : « L’Eglise catholique est missionnaire, l’Eglise catholique n’est pas œcuménique ».
Bonne recension aussi sur Les Nazaréens français, théorie et pratique de la peinture religieuse au 19e siècle. Comme le signale aussi le Frère E.M.,  « ce livre passionnera tous ceux qui s’intéressent à la peinture religieuse  et à l’histoire du 19e siècle ».
Nous retiendrons particulièrement l’article de Louis de Rouvray « L’œuvre législative de l’empereur Constantin, entre paganisme et christianisation ». L’auteur  montre l’ambiguïté de la politique de cet empereur (306-337) vénéré par les orthodoxes comme un saint. Chez les orthodoxes la canonisation se présente surtout comme un fait liturgique. Elle porte moins sur le saint lui-même que sur son culte[2].
Si l’œuvre de Constantin marque une orientation nouvelle dans l’histoire du christianisme, l’ambiguïté même de cet homme est bien mise en valeur par l’auteur de l’article. Cependant le tableau qu’il fait de l’empereur relève quelque peu de l’hagiographie. Constantin, qui supprima sa femme Fausta et son fils Crispus, a eu beaucoup de sang sur les mains. Doit-on rappeler que Constantin fut baptisé au moment de sa mort par l’évêque très peu orthodoxe Eusèbe de Nicomédie ? On a pu contester  la véritable nature de la conversion de Constantin, n’y voyant rien d’autre qu’une tentative habile pour contrôler l’Eglise et  circonscrire ainsi l’opposition venant de celle-ci.
On regrettera que les effets de la politique impériale ne soient pas évoqués dans l’article de Louis de Rouvray. Plus par ambition que par conviction les hommes rejoignirent en masse l’Eglise, ce qui a eu pour effet de l’affaiblir et de lui faire perdre sa liberté spirituelle. L’auteur n’analyse pas non plus la nature du pouvoir de Constantin. On aurait tord d’affirmer que Constantin s’appuya sur son titre romain de Pontifex Maximus. De fait, comme le font remarquer Francis Dvornik, et Edwar G. Farrugia[3],   Constantin régna en tirant son inspiration de la notion grecque de la royauté  selon laquelle le souverain représentait la divinité sur la terre et en tant que tel il prétendait conduire l’homme vers Dieu.
On ne peut pas lui appliquer le terme de césaropapisme, la religion chrétienne ne deviendra religion d’Etat qu’à l’époque de Théodose (379-395).

Pierre Essain
.
[1] Homélies et Allocutions (vol. 4), Ecône,  service d’enregistrement- Séminaire Saint-Pie-X, 2 CD.
[2] Voir l’article de Edwar G. Farrugia, « Doit-on préférer Néron à Constantin ? »,  Méditerranées, 28, Paris, 2001, 79- 102, avec de bonnes références bibliographiques.
[3] Francis Dvornik, Early Christian and Byzantine Political Philosophy : Origins and Background, Washington, 1966, II, 637. Pour Edwar G. Farrugia, article cité en n. 2.

Jack Kerouac : "the beat generation"


L’œuvre de Jack Kerouac connaît un grand succès de librairie à l’heure actuelle. Son livre mythique Sur la route vient d’être réédité chez Gallimard, sous le titre Sur la route. Le rouleau originalOn sait que le livre a écrit en trois semaines sur un rouleau de 30 mètre de long.
Christian  Bac nous propose aujourd’hui une lecture insolite de l’auteur en rapprochant le livre fétiche de Big sur.
On the road   et  Big sur constituent l’amont et l’aval de son très long et périlleux voyage à travers les Etats- Unis. Ce voyage dont il dénonce dans Big sur tous les dangers, les absurdités et les regrettables erreurs.
   Au carrefour de sa vie, il perçoit la croix du Christ qui le console, et nous sommes étonnés de voir que les quelques lignes sur la croix du Christ prennent dans sa vie  une si grande place.  
    Jack Kerouac sera le premier à parler de « beat generation » pour caractériser un mouvement « littéraire » et artistique. Ce nouveau courant de pensée se traduit par un pessimisme consternant qui ouvre la voie à la drogue et à tous les modes de vie que le mot « beat » exprime bien, car il évoque tout ce qui est cassé et fatigué dans une société, bien que Jack  Kerouac ait fini par se moquer lui-même de cette définition, en y apportant un sens religieux avec un rituel particulier.   
  Jack  Kerouac (1922 1969) un représentant de la « Beat Generation » nous relate ses aventures dans son œuvre principale intitulée On the road écrite en 1951. Il nous fait découvrir un chemin que d’autres vont prendre à sa suite. Il s’agit de chanteurs, de musiciens, de poètes qui vont constituer une impressionnante et nébuleuse galaxie par la force qu’elle dégage dans le monde de l’édition comparable à celle d’Harry Potter de J.K. Rowling dont le succès en librairie et au cinéma nous étonne encore. Cette génération est à la recherche d’une nouvelle culture qu’elle va chercher dans les religions orientales.  On associe à cette génération Allen Ginsberg, William Burroughs, Neal Cassady par exemple.
   La route dont nous parle Jack Kerouac est une voie de communication très particulière que beaucoup de jeunes empruntent encore dans une quête infinie pour atteindre un lieu mythique. La route devient le symbole et la philosophie d’une génération inquiète et inquiétante qui va trouver refuge dans la drogue et les rencontres fortuites. Cette route s’intériorise en s’organisant dans un labyrinthe d’utopies sans fin et un égarement difficilement supportable sans la drogue.
 Le dernier ouvrage de Jack Kerouac manifeste son profond désarroi, et son grand regret devant les années qu’il a passées  en marge du réel ; pour avoir vécu sur une route dont les panneaux avaient été remplacés par la fantaisie de son imagination désordonnée.
  Cet ouvrage est rythmé par des mots qui reviennent fréquemment tels que « cauchemar », « fou », « obsédé ». Pourtant d’une manière paradoxale, la lumière de la réalité vient balayer le brouillard dans lequel il a enfermé sa vie et il devient lucide au point de voir l’existence telle qu’il aurait toujours dû la voir mais l’usage de la drogue, du tabac et le style de vie qu’il a choisis lui enlèvent la  force physique et psychique d’en jouir encore longtemps, car il sait qu’il a par tous ces abus écourté sa vie. En effet, il devait mourir à l’âge de quarante sept ans.  
  Continuons la lecture du même ouvrage. Il proclame dans les premiers chapitres, la beauté de la nature et le mystère de l’existence.  Les objets les plus simples sont aussi l’objet de son admiration « quand on songe à l’inutilité d’articles coûteux que j’ai achetés et dont je me suis jamais servi » page 52. Il critique sévèrement le  monde d’Hollywood « deux chemises ridicules achetées pour Hollywood » page 53.Il fait parler la nature, et son dialogue avec la mer est impressionnant : « je reste tout bonnement assis, écoutant parler les vagues qui vont et viennent sur le sable, sur des tons de voix différents »pages 50 51 
 Contre toute attente,  à un moment nous voyons apparaître la croix, page 267 dans Big sur de Jack Kerouac (collection Folio) : « soudain je vois la Croix, plus petite cette fois, plus loin, mais tout aussi nette et je dis, essayant de dominer toutes ces voix : ‘’ Je suis avec toi, Jésus, pour toujours, merci ‘’. Je reste là étendu, inondé d’une sueur froide, me demandant ce qui m’arrive depuis tant d’années ; mes études sur le bouddhisme, les pipes que je fumais  m’assuraient les méditations sur le vide et tout d ’un coup la Croix apparaît devant moi. »
      Cet ancien étudiant de l’université de Columbia connaît bien ses classiques : ni  Rimbaud ni Dostoïevski qui ne sont étrangers à sa culture ne semblent pas lui avoir donné la direction  pour construire sa vie  autrement.   
   Il garde son émerveillement de la nature qu’il connaît bien et ses descriptions ne manquent pas d’intérêt. Son regard s’éloigne du consommateur pour se rapprocher davantage de celui de saint François d’Assise mais pas suffisamment pour connaître la paix, car le temps qu’il a perdu sur les routes non balisées l’empêche de revenir à l’essentiel de la vie.
   Une route a normalement un début et une fin pour toute personne qui a un projet et un idéal. Le pèlerinage à Saint Jean de Compostelle a ses chemins qui sont orientés dans une direction et un but précis.   Mais, dans le contexte culturel de l’époque en Amérique, la route avec ses points de repères  doit être dépassée. Cet aspect, très matériel de la route, doit s’associer à une imagination débridée qui s’exprime dans l’excentricité et l’occultation du Réel.
  Pourtant dans son premier ouvrage Jack Kerouac manifestait déjà un malaise certain avec son compagnon de route Dean Moriarty dont la conduite le perturbait gravement mais l’attirait irrésistiblement. En effet, à la page de couverture de son premier ouvrage Sur la route  chez Folio nous pouvons lire : « Ma tante avait beau me mettre en garde contre les histoires que j’aurais avec lui » ou encore dans ce même ouvrage à la page 354  il est question « des excentricités de Dean ». page 294 nous lisons « Ils ont acheté du vin et se sont mis à boire du vin, ceci sans interruption pendant cinq jours et cinq nuits pendant lesquels je restais blotti à chialer dans un coin, et quand ils ont eu fini, ils avaient dépensé jusqu’au dernier sou et nous sommes retournés à notre  point de départ » Ces scènes de beuveries sans fin se répètent à différents moments de cet ouvrage page 355 « A New York, on cavalait toujours frénétiquement de beuveries en beuveries avec des foules d’amis »  et tout le long de l’ouvrage on entend jurer. Dans toute cette grisaille quelques lignes de ciel bleu page 420 « C’était comme les yeux de la Vierge Marie quand elle était bébé. On y  distinguait le tendre et miséricordieux regard de Jésus »    
     Cette route mythique va quelques années après rejoindre la Grande Bretagne avec son cortège de chanteurs tels les « Beatles » qui vont recevoir de la part de « l’establishment » une reconnaissance officielle. En effet, la reine d’Angleterre en 1965, les élève à la dignité de membres de l’Empire britannique. Cette musique est à l’image de la  jeunesse bouillonnante d’après guerre qui recherche en apparence une autonomie totale par rapport à tout ce qui organise une société cohérente. Cette musique est entraînante elle est rythmée comme peut l’être la musique militaire ; d’où les grands rassemblements de jeunes qu’elle suscite. Cette musique  stimule les ventes de disques avec la force intense de la publicité.
   Ce cyclone musical va bientôt frapper toute l’Europe et se retourner vers les Etas - Unis d’où il a pris naissance. John Lennon  s’établira plus tard à New York et se présentera comme un guide d’une spiritualité  qui s’exprime dans la contradiction puisqu’il va faire la promotion d’une société dégagée des biens matériels alors qu’à sa mort, comme le rappelle Patrick Buchanan dans son ouvrage intitulé The death of the West page 55  « il laisse à sa famille une fortune évaluée à 250 million de dollars qui fait de lui l’homme le plus riche des Etats-Unis ».Dans ce même ouvrage nous apprenons que John Lennon affirmait que la foi chrétienne devait disparaître : « l’avenir me donnera raison, nous sommes plus populaires que Jésus lui- même » page 55.          
   Quand nous lisons  Big sur  Jack Kerouac  semble avoir quitté la route dangereuse qu’il avait prise. En fait, il ne peut plus la quitter, et nous avons l’impression qu’il ne fait  plus la distinction entre le jour et la nuit, car le jour ressemble dans son œuvre à la nuit ; et la nuit qui devrait être vécue comme un moment privilégié pour réparer ses forces ne lui donne plus que des cauchemars. Hélas le jour ne fait chez lui que mettre en évidence l’échec de sa vie. Mais la croix du Christ lui apparaît et réconforte son esprit si tourmenté. La Croix du Christ ne lui est pas inconnue car elle appartient à la culture qu’il a reçue. Elle lui est apparue comme la seule possibilité de réconciliation face aux  nombreuses blessures de sa vie qui nous remplissent de compassion.
Christian Bac 

mardi 3 août 2010

A propos de la définition de la sainte messe


Dans le journal Présent du 17 juillet 2010, l’abbé Barthe attire notre attention sur une longue note de l’abbé Cellier parue dans la Lettre à nos frères prêtres de juin 2010 et intitulée « Retour sur la propitiation » en nous rappelant  l’une des définitions les plus célèbres du Concile de Trente (Chapitre II du décret sur le sacrifice de la messe). « Parce que, dans le divin sacrifice qui s’accomplit à la messe, ce même  Christ est contenu et immolé de manière non sanglante ; lui qui s’est offert une fois pour toute de manière sanglante sur l’autel de la Croix, le saint Concile enseigne que le sacrifice est vraiment propitiatoire » S’il se fait que , si nous approchons de Dieu avec un cœur sincère et une foi droite, avec crainte et respect, contrits et pénitents nous obtenons miséricorde et nous trouvons la grâce d’un secours opportun. Apaisé par l’oblation de ce sacrifice, le Seigneur en accordant la grâce et le don de la pénitence, remet les crimes et les péchés, même ceux qui sont énormes. L’abbé Barthe nous rappelle également le Catéchisme romain, leCatéchisme de saint Pie X, l’encyclique Mediator Dei de Pie XII de 1947, qui évoque un vrai sacrifice au sens propre ». 
L’auteur fait état d’un article de l’abbé Cellier qui met en lumière une étonnante modification intervenue entre la première édition du Catéchisme de l’Eglise catholique  en 1992 et l’édition de 1997. Cette modification touche la définition de la messe et son caractère propitiatoire.
L’abbé Cellier distingue fort opportunément les trois phases dans l’affirmation ou la non affirmation du caractère propitiatoire de la messe, depuis Vatican II.
  1. une phase d’effacement du caractère propitiatoire de la messe
  2. Le numéro de 1992 on omet l’affirmation finale contenue dans la définition du concile de Trente : « ce sacrifice (qui s’accomplit à la messe) est vraiment propitiatoire » 
  3. Ce silence a été comblé partiellement en 1997  par la première édition du Catéchisme del’Eglise catholique « Ce sacrifice est vraiment propitiatoire ». Ainsi cinq ans après donc l’édition de 1997 on a corrigé très opportunément cette lacune Mais il ne semble pas que cette édition annule la précédente.
Aujourd’hui il apparaît que deux doctrines coexistent. Comme dans le cas de la messe, il existe une forme extraordinaire, qui proclame la non-abolition de la doctrine officielle de la non-abolition, et une forme ordinaire avec l’absence de formulation.
Pierre Essain