mardi 5 octobre 2010

Réflexion sur l'iconographie et le culte marial


Note parue sur le site de Catholicae disputationes en janvier 2009.
  1. La Vierge à l’enfant de Pierre Essain
  2. Le couronnement de la Vierge de Jean Fouquet (associé à la problématique de la Trinité) de Michel Mazoyer.

      1 - La Vierge à l’Enfant
      Exposition du 17 décembre 2008 au 4 mai 2009
      Cité de l’architecture et du patrimoine

      Depuis sa création en 1882, le musée des monuments français a fait procéder au moulage de nombreuses Vierges à l’enfant. Neuf moulages issus des réserves sont aujourd’hui exposés. Elles illustrent la diversité du thème du  XIIIe au XVI siècle selon le texte d’Odile Welfelé qui accompagne l’exposition.

      La thématique de la Vierge à l’Enfant
      La thématique de la Vierge à l’Enfant a ses racines dans un des dogmes fondateurs du Christianisme : la Vierge Marie est la mère de Dieu. Ce dogme qui figure dans les Evangiles a été défini au Concile d’Ephèse, le 22 juin 431 contre les erreurs de Nestorius, patriarche de Constantinople et accueilli avec une grande joie par le peuple. Il accompagna les pères conciliaires jusqu’à leur domicile avec des flambeaux et des acclamations.
      De ce dogme dérive l’idée développée dès les origines que Marie est associée à son fils dans la mission de restauration du genre humain[1].

      Saint Paul déclare : « De même que, par la désobéissance d’un seul homme, tous ont été constitués pécheurs, de même, par l’obéissance d’un seul, tous seront constitués justes (Rm, 5, 19). »
      Au deuxième siècle saint Justin martyr (+165) écrivait : « Eve, Vierge et sans tâche,  ayant accueilli la parole du serpent engendra la désobéissance et la mort ; mais Marie, acquiesçant la parole de l’ange, engendra celui qui a vaincu le serpent et ses suppôts, anges et hommes ».
      La même thématique se trouve chez saint Irénée (+) et Tertullien, saint Jérôme, saint Ephrem, ou saint Augustin    La façon dont s’expriment les Saints Pères est celle de personnes qui transmettent une vérité révélée transmise par Jésus-Christ et se apôtres. Cet enseignement est commun et pourtant l’origine de ces auteurs est diverse.
      L’opposition entre Eve, cause de notre ruine, et Marie, cause de notre vie, est l’idée commune utilisée pour mettre en relief la mission salvatrice de la Vierge.

      La thématique au Moyen-Age
      Au Moyen Age cette doctrine apparaît dans la liturgie, comme une profession de foi. Jusque dans les bréviaires les plus récents, dans l’hymne des laudes de l’office du commun de la Bienheureuse Vierge Marie.  On lit ces vers attribués à Venance Fortunat (+600) « Ce que la malheureuse Eve nous a ravi. Tu nous le restitues en ton saint Enfant. »[2]
      Entre le XIIIe et le XVe la représentation de la Vierge à l’Enfant oscille entre l’affirmation de la royauté universelle de Marie et l’affirmation de sa nature humaine.
      A l’époque romane,  le thème de la Sedes Sapientae se développe[3]. L’influence byzantine est manifeste[4]. En Auvergne apparaissent des  Vierges de ce type (Vierge de saint Nectaire). Marie est représentée en impératrice. C’est donc la royauté universelle de la Vierge qui est mise en évidence ; cette thématique est affirmée avec force dans l’Apocalypse. La Vierge est Theotokos, « celle qui donne naissance à Dieu », rappelant ainsi sa double maternité. Son Enfant est Dieu et Homme. Généralement strictement centré, l’Enfant fait le geste de la bénédiction et de l’autre main tient un livre. L’aspect hiératique de La Vierge de l’église Sainte-Anne de Gassicourt de Mantes-la-Jolie inspirée de la tradition byzantine attire notre attention. Bien que datée du XIIIe siècle la statue est encore romane. Le plâtre imite le bois peint d’origine. D’une façon singulière, l’Enfant, qui a une figure d’adulte, est assis de biais. Les drapés présentent des cannelures régulières. Les statues de ce type pouvaient être transportées, ou figurer à l’entrée des églises.


      Au XIIIe siècle la Vierge est placée au trumeau des cathédrales. Cette place affirme sa médiation universelle. Elle permet d’accéder à l’Eglise universelle. Elle est coiffée de la couronne de la reine du ciel (affirmation de sa souveraineté universelle). La robe en manche collante est couverte d’un manteau retenu par un cordon. Le corps se déhanche (Paris cathédrale Notre Dame). On donne plus de vie à la statue, elle est plus proche du croyant et de sanctification quotidienne, elle l’accompagne ainsi toute sa vie. Cette volonté se manifeste dans différentes  représentations.

      A la Cathédrale d’Amiens (Cathédrale Notre-Dame), la Vierge dorée est coiffée d’un voile court surmonté d’une couronne, regarde avec un sourire amusé l’Enfant vêtu d’une longue tunique ; il tient un globe qu’il présente à sa Mère. La royauté universelle de la Vierge et du Christ est clairement affirmée. Mais on souligne la dimension humaine du Christ et de la Vierge. La Vierge dorée aura une grande influence sur toute la statuaire qui lui succède.

      Le XIVe siècle la Vierge est coiffée d’une couronne ; elle  sourit parfois mais elle peut être  plus distante. Sa chevelure est formée de  volutes. Couverte d’un manteau aux amples drapés, elle affiche une cambrure du buste et une saillie de la hanche du fait d’un déhanchement. L’Enfant potelé porte généralement un globe (universalité de sa royauté), une fleur (pureté), ou un oiseau,  des fruits (symbolisme divers) (voir Cernay-les Reims et Nanteuil-le-Haudoin). 

      On s’étonne devant la Vierge à double face de Villeneuve-lès-Avignon. Il pourrait s’agir d’affirmer la double nature de l’incarnation (Dieu et Homme).
      La Vierge de la cathédrale de Saint-Dié porte une couronne de rose ; il s’agit  d’un motif  rhénan. Inversement  Les Vierges bourguignonnes, comme celle  d’Autun, ne portent pas de couronne et aucun attribut n’évoque la  sainteté de la Vierge. Le thème de la Vierge allaitant apparaît dans la statuaire au XIVe siècle. On crée une scène de la vie quotidienne (La Vierge normande de Dampierre-Saint-Nicolas). La Vierge est assise ou debout.
      Au début du XVe les gestes de l’Enfant se font familiers. A Quéant l’Enfant s’accroche au fermoir de manteau de la Vierge. L’Enfant est de plus en plus représenté comme un poupon. La scène devient réaliste.

      Aux alentours du XVIe une autre iconographie se répand, celle de la Pieta. Elle associe la Vierge à la passion.
      Pierre Essain


      [1] Voir Mgr de Castro Meyer, « Lettre pastorale sur la médiation universelle de la très sainte Vierge Marie », 1978-79 et réédité dans Le Sel de la Terre 67, pp.55-78 et traduit par l’Abbé Labouche, 2008-2009.
      [2]   Ibid.
      [3] Voir les explications toujours intéressantes d’Odile Welfelé. 
      [4]  Pour quelques lignes sur l’influence byzantine en Occident, on se reportera par exemple au livre de J. Heers,  Le Moyen Age, l’Imposture, p.72, Paris, 1992, 2008. Cette influence a été niée ou minimisée systématiquement par la tradition universitaire 

      2 - Le couronnement de la Vierge de Jean Fouquet
      Le musée Condé de Chantilly conserve 40 des 47 miniatures tirées du manuscrit des Heures d’Etienne Chevalier signé par Jean Fouquet, l’un des peintres les plus importants du XVème siècle. On estime généralement qu’il a renouvelé l’art de son époque en mêlant tradition et modernisme[1].
      On sait qu’un livre d’heures est un recueil de prières, qui varient selon le moment où elles sont prononcées. Chaque mois s’ouvre sur une page contenant une illustration  représentant une activité humaine propre à ce mois, puis, suivent les prières célébrant les grands événements de la vie du Christ et les fêtes religieuses.
      Nous examinerons la représentation de la Trinité, qui constitue une des 40 illustrations tirées du manuscrit du livre des Heures d’Etienne Chevalier. Jusqu'au XIVe  le couronnement de la Vierge par le Christ, le père ou un ange, est courant. Cependant, comme le signale le site internet que le Musée de Chantilly consacre  au travail de Jean Fouquet, l’invention du couronnement de la Vierge par la Trinité (pour voir l’œuvre sur le site de la BNF cliquer sur ce lien) est une nouveauté de la fin du XIVe.
      Dans le ciel, la communauté des saints annonce à l’humanité la promesse de pouvoir être sauvée. Les saints se trouvent près du Trône divin, et non près de la Vierge, qui est représentée seule, agenouillée dans un geste de soumission et d’adoration.
      On assiste donc à un double mouvement vertical, celui du Verbe, qui descend sur la terre, celui des hommes, qui montent au ciel.
      Inversement dans Le couronnement de la Vierge d’Enguerran Quarton (Cliquer ici pour visualiser l’œuvre) la Vierge est dans le ciel. La terre est représentée par deux villes saintes, Rome et Jérusalem. Plus bas encore on voit la représentation de l’enfer et du purgatoire (on peut voir les différentes parties du tableau sur le site consacré au peintre en cliquant ici). La vision est donc plus optimiste chez Jean Fouquet, qui n’évoque que le ciel.
      Dans Le couronnement de la Vierge de Jean Fouquet les trois entités qui constituent la Trinité sont représentées sous une même apparence, celle du Christ. Le Père apparaît donc comme rajeuni et l’Esprit  Saint est anthropomorphisé (ou incarné ?). Le fait de représenter Dieu le père en un double du Verbe en le rajeunissant se retrouve dans la toile de Quarton. Chez ce dernier pourtant l’Esprit Saint présente sa forme traditionnelle, celle d’une colombe.
      De cette humanisation de l’Esprit Saint, il est possible d’établir deux enseignements : d’une part, on  trouve ici l’affirmation de cette idée théologique selon laquelle les trois personnes de la Trinité constituent trois aspects distincts de la même personne, d’autre part, se trouve accentué le rapprochement de la Trinité avec l’humanité. Ici, c’est toute la Trinité qui prend l’aspect du Christ, qui, de ce fait, ne se distingue plus du Verbe. Il existe, à l’inverse, ultérieurement desChrist hérisson 2représentations du Christ dans lesquelles ce dernier se rapproche du Père (voir Hérisson XVIe siècle).

      Hérisson, Le Christ en majesté
      Photo d’André Emmendoerffer Christ hérisson
      Pourtant Fouquet  a su mettre en valeur certaines variations, qui soulignent les différences entre les personnes de la Trinité.
      Le Christ n’est pas assis à côté du Père et du Saint Esprit, mais représenté à côté de Marie. « Sa position en bas des marches suggère qu’il va à la rencontre de l’humanité »[2]. C’est lui qui dépose la couronne sur la tête de Marie, qui est  l’instrument de l’incarnation.
      Curieusement le Saint Esprit  est placé au centre de l’image : il constitue, à travers l’Annonciation,  un autre personnage clef de l’incarnation.
      La posture de Dieu le Père est plus solennelle que celle de l’Esprit Saint : l’aspect de corps suggère qu’il est plus âgé. On remarque que sa main est plus haute que celle de l’Esprit Saint : il est en train de bénir sa création.  C’est lui qui a imaginé comment sauver l’humanité embourbée dans le péché originel.
      Sur la gauche de la banquette se trouve un siège vide ; le Verbe est représenté sous la forme du Christ, descendu sur la terre pour couronner la Vierge. Ceci pose un problème théologique. Le Verbe était-il absent du ciel du fait de l’incarnation ? Inversement chez Quarton on a simultanément une représentation du Verbe et du Christ.
      Un quatrième coussin sur le côté semble représenter un siège destiné à la Vierge, distinct de la banquette. La Vierge a une place à proximité du trône divin.

      ReixachEn comparant ces miniatures avec le tableau de La Trinité de Juna Reixach, commentée précédemment (site 8 juin 2008), on voit combien la représentation de la Trinité est novatrice chez Jean Fouquet. Tout en tenant compte de la tradition, Jean Fouquet communique sa propre interprétation : ce qui importe, pour lui est l’incarnation et non la crucifixion. Sa représentation de la Trinité pose plusieurs questions d’ordre théologique. Le Père est-il plus âgé que le Christ, Le Verbe se dissocie-t-il de la Trinité lors de l’incarnation,  tous les hommes seront-ils sauvés ?

      Michel Mazoyer





      [1] http://crdp.ac-amiens.fr/picar/data/chateau_chantilly_doc/dossiers_pedagogiques_word/dossiers_pedagogiques/fouquet_2.pdf
      [2] Ibid.

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