lundi 30 mars 2009

Les Évangéliques, dernier ouvrage de Patrice de Plunkett

Perrin, 2009, 314 pages
S'il est un sujet qui intrigue pas mal de monde en ces temps de « retour du religieux », c'est bien celui de la signification des mouvements évangéliques. Qu'entend-on par évangélique? S'agit-il d'un énième avatar de la Réforme? Ceux qui s'en réclament peuvent-ils revendiquer le nom de protestants? Peut-on les réduire au pur folklore émotionnel? Sont-ils dangereux pour la société civile? Pour les autres confessions protestantes? Pour l'Église catholique? Sont-ils intolérants? Ont-ils eu une influence politique dans le sens conservateur, notamment aus USA au temps de Bush Junior? A ces questions, et à quelques autres, Patrice de Plunkett, le journaliste et essayiste bien connu, ancien directeur du 'Figaro Magazine', actuel éditorialiste de 'Spectacle du Monde', et webmestre d'un blog très consulté (plunkett.hautetfort.com), tente de répondre par une enquête qu'il a menée sur le terrain et dans les textes, comme il l'avait fait pour son enquête sur l'Opus Dei. Sa bibliographie est brève, mais de qualité. Son style est enlevé, comme une promenade à cheval au milieu de quatre continents (Europe, Amérique, mais aussi Afrique et Asie) d'un cavalier qui serait très observateur.
Il nous fait d'abord remonter à la Réforme pour nous faire comprendre le phénomène dans sa perspective historique. A Luther et Calvin bien sûr, mais aussi aux camisards des Cévennes, du Dauphiné et du Vivarais, ces « maquisards huguenots », huguenots parce qu'ils se savent sauvés, et parce qu'ils sont austères, antipapisteset entreprenants, maquisards parce qu'ils se mettent à l'abri des dragonnades, après la révocation de l'édit de Nantes en étudiant la Bible dans leurs foyers, en remplaçant les pasteurs par des prédicants, qui les aident à prier en pleine nature, dans des « déserts ». Certains se mettent à prophétiser. Des vagues de mysticisme se manifestent. C'est le premier « soulèvement de l'Esprit », qui annonce les Réveils contemporains. Patrice de Plunkett a particulièrement soigné ces deux chapitres préliminaires. La fuite de Jean Calvin en décembre 1533, présentée comme la première éruption du « volcan de la Réforme », qui ouvre le premier, est à ce titre un petit chef d'oeuvre. Surtout on voit que tout le reste en découle, tant apparait durable dans le protestantisme la tension entre la tendance doctrinale et la tendance émotionnelle, entre la raison et le vécu, le ressenti.
Ensuite..., ensuite il faut suivre le cavalier, qui nous propène à sa suite à travers les États-Unis, terre fertile pour toutes les formes de manifestations religieuses, à la suite de son ensemencement par les Puritains exilés d'Angleterre, arrivés à bord du Mayflower le 21 novembre 1620, puis par d'autres protestants au cours des siècles suivants. Où l'on aprend ce que sont les Pentecôtistes, les baptistes, les anabaptistes, les méthodistes, les « méthodistes jubilants », les darbystes... On n'en finit pas de découvrir de nouvelles églises, ou confessions, parfois appelées sectes (mais dans un sens non péjoratif dans ce contexte), tant l'inclination à la scissiparité est permanente dans ce monde où, à la limite, si l'on n'est pas content de son pasteur, on fonde une autre église en invoquant une inspiration soudaine. Je caricature à peine. Tout repose sur des interprétations personnelles de la Bible, sur une intuition première, présentée comme une révélation particulière, et sur des spécificités qui varient d'une église à l'autre. C'est ainsi qu'on trouve des groupes évangéliques écologistes, ou d'autres particulièrement sensibles aux questions sociales; ce qui relativise l'idée que les Évangéliques sont nécessairement conservateurs aux USA, donc tous partisans de feu Bush Junior. Néanmoins l'auteur glisse ici des considérations intéressantes sur la manière dont ces différents courants entrent en composition dans ce qu'on appelle « le rêve américain », avec ce qu'il comporte d'esprit missionnaire, y compris sur le plan politique.
Mais il n'y a pas que l'Amérique à avoir vu se développer le phénomène. Surprenantes sont les observations faites en Afrique (on lira un développement intéressant sur la Kabylie), où l'on sait que le sentiment religieux est profond, et dans certains pays d'Asie. Dans ces continents l'on trouve d'ailleurs des Églises parfaitement évangéliques, et parfaitement antiaméricaines.... C'est dire la variété des manifestations de l'évangélisme dans le monde.
Est-ce pour cela que Patrice de Plunkett n'a pas voulu tirer de son enquête des conclusions systématiques? Certains seront déçus qu'il ne réponde pas clairement aux questions qu'il pose dans ses derniers chapitres, après avoir donné au préalable un aperçu de l'évangélisme en France (où le président de la Fédération Protestante est un pasteur évangélique, ce qui ne laisse pas d'étonner au pays de Calvin): « Les Évangéliques sont-ils dangereux? ». « Les Évangéliques sont-ils intolérants? » A moins qu'il ne laisse ses lecteurs conclure.
Il y a, il pourra y avoir d'autres ouvrages sur le sujet, qui tenteront de répondre à ces questions. Il faudra trouver ailleurs la position de l'Église catholique, par exemple. Mais ces réponses seront-elles satisfaisantes pour tous? Probablement pas.
L'auteur se contente d'observer le phénomène et d'en rendre compte. Il ne tait pas le caractère anticatholique de certaines églises évangéliques. Inversement, il constate que l'évangélisme provoque à son tour des réactions intolérantes. Reste que, dans un siècle trop rationnel, ou se croyant tel, un certain sentiment religieux peut se réveiller, confortant ainsi la phrase apocryphe de Malraux: « Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas ». Ce français approximatif serait indigne du grand écrivain qu'il était, mais il aurait prononcé, dit-on, une phrase semblable, et l'idée d'un retour du spirituel se vérifie bien, soit dans le développement des sectes, soit dans le succès grandissant des dérivés de la religion chrétienne, avec pour facteurs communs la libre interprétation de la Bible, l'importance donnée au sentiment et à l'expérience individuelle, les charismes de guérison spirituelle et matérielle, et l'appel à un changement de vie, le plus souvent hors de toute hiérarchie institutionnelle. Aux autres chrétiens de retrouver leur mission d'évangélisation pourrait-on conclure.
Une telle enquête, même sans conclusion définitive, était nécessaire. Après elle, on peut dire, en parodiant une formule célèbre: « Sur l'évangélisme, voyez Plunkett. »
François Gondrand

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire