lundi 22 juin 2009

Le Mystère de la rédemption selon Joseph Ratzinger


Le Sel de la Terre, no 67, Hiver 2008-2009
« Le Sel de la Terre » passe régulièrement en revue les points de divergences existant entre la tradition et l’Eglise « moderniste ». Dans le numéro 67 on lit un article de Mgr Tissier de Mallerais intitulé « Le Mystère de la rédemption selon Benoist XVI » (pp.22-54).  
S’appuyant sur un livre de Benoist XVI intitulé La foi chrétienne hier et aujourd’hui paru en 1968 et réédité en 2005, Mgr Tissier de Mallerais reprend la démonstration de Joseph Ratzinger qui rélève selon l’évêque traditionnaliste d’un modernisme manifeste.
La démonstration de Joseph Ratzinger repose sur une thèse, une antithèse et une synthèse. 
Thèse. La croix est l’expression d’un amour radical, et non une expiation de l’homme dieu au père, qui se donne entièrement. Sur la croix Il se substitue bien à nous mais l’échange consiste en ce qu’il aime pour nous.

Antithèse. Le nouveau Testament affirme l’œuvre d’expiation.

La Synthèse consiste à réinterpréter l’œuvre d’expiation à la lumière de la thèse. Sur la croix Jésus Christ se substitue à nous mais l’échange consiste en ce qu’il aime pour nous;

Ainsi, à en croire Mgr Tissier de Mallerais, le théologien Ratzinger s’opposerait aux Pères de l’Eglise et à saint Thomas. Pour ce dernier la charité est l’âme du sacrifice du Christ mais il n’estompe ni la matérialité ni la valeur expiratoire de ce sacrifice.

La thèse à défendre est seulement la satisfaction du Christ. La satisfaction d’un pur homme ne peut être suffisante. Que l’homme-Dieu ait pleinement satisfait pour les péchés, ne dispense pas l’homme pur de joindre sa satisfaction même incomplète à la satisfaction parfaite du Christ.

Joseph Ratzinger insisterait particulièrement sur l’absurdité que représenterait l’idée d’un sacrifice humain pour apaiser un dieu courroucé : « Certains textes de dévotion semblent suggérer que la foi chrétienne en la croix se représente un Dieu dont la justice inexorable a réclamé un sacrifice humain, le sacrifice de son propre fils. Et l’on se détourne avec horreur d’une justice dont la sombre colère enlève toute crédibilité au message de l’amour (Ratzinger, p.199).

C’est oublier aux dire de Mgr Tisier de Maillerais la phrase de saint Paul « Proprio Filio suo non pepercit Deus, sed pro nobis omnibus tradidit eum (Dieu n’a pas épargné son propre fils, mais pour nous tous il l’a livré )» (m 8, 32).

Le problème de la réforme liturgique est en fait l’application de la révolution dans l’idée d’expiation promu par Ratzinger. Dans le nouveau rite ce qui a trait à la peine due au péché n’est plus un objet de prière, l’offrande est présentée comme un pur éloge. Voir l’étude de la Fraternité Saint Pie X (Le problème de la réforme liturgique, 2001), qui montre que le rite de messe de Paul VI serait l’application des idées promues par Joseph Ratzinger). 
Commentaire. On fera remarquer que le texte commenté par Mgr Tissier de Maillerais a été écrit voici quarante ans, et que Joseph Ratzinger n’était pas Pape, et qu’ainsi on ne peut préjuger de ce qu’il enseigne aujourd’hui à la seule lecture d’un texte écrit il y a déjà bien longtemps.
De plus, sur la forme, la doctrine de l’Eglise, si elle doit beaucoup aux analyses du Docteur angélique, n’en est pas prisonnière … ce n’est pas la théologie de saint Thomas d’Aquin, aussi puissante soit-elle, qui permet de juger le Magistère, mais au contraire, c’est le Magistère qui peut seul se faire juge de la doctrine des théologiens.
Maintenant, sur le fond, et ayant bien compris l’argumentation de Mgr Tissier de Mallerais, il nous semble que l’argumentation du théologien Joseph Ratzinger ne saurait être balayée d’un revers de la main au nom d’une tradition comprise par un autre théologien ; car enfin, il faut se souvenir que l’Eglise n’enseigne pas que la seule finalité de l’inhumanisation de la parole de Dieu soit le Sacrifice, mais que son but est l’achèvement de la Création. Les Ecritures insistent tout particulièrement sur le fait que le Christ est la cause finale de la Création : il est le premier en intention et donc le dernier créé. A ne pas le voir, à ne pas le comprendre, on décapite le christianisme de sa métaphysique et donc de sa véritable signification : le paleos anthropos ne saurait par la seule actuation de ses potentialités devenir divin, ainsi que cela a été annoncé par les prophètes : entre l’humanité première, adamique, et l’humanité du Christ, second adam, il y a un fossé ontologique que personne ne peut franchir par ses seules vertus, seule une nouvelle création, une nouvelle naissance à un ordre supérieur peut le faire.
Pour être plus clair, il convient de rappeler que l’univers matériel n’a pas en lui ce qui est nécessaire à l’émergence de la vie, que le règne animal n’ a pas en lui ce qui est nécessaire à l’émergence de la vie intellectuelle, réfléchie et libre ; de même l’homme, doué de raison et de liberté, n’a pas en lui ce qui est nécessaire à l’émergence de la vie divine en lui et c’est bien ce qui fait que les vertus théologales ne sauraient être réduites à des faits psychologiques, puisqu’elles sont d’un autre ordre, d’un ordre supérieur.
Donc, Jésus est le parachèvement de la création de l’univers (summum opus Dei), la réalisation parfaite et adorable de la volonté aimante de Dieu : une humanité épousée par Lui. Voilà la véritable finalité de l’incarnation en bonne théologie catholique. Il ne s’agit pas de restaurer un état antérieur, à moins de penser que le temps n’est qu’un simulacre, une image mobile de l’éternité pour parler comme Platon. Il s’agit d’une nouvelle et ultime étape dans l’histoire de la création.
Ainsi donc, même si la liberté de l’adam n’avait pas failli, et si les œuvres de mort ne s’étaient pas répandues dans notre société humaine (ce que la théologie appelle le péché originel), notre frère humain Jésus serait né du sein virginal de Marie épousé par le Verbe. Car telle est la finalité des six jours de la création voulue par le Dieu d’amour et de pardon. Parce que Jésus, qui est vrai homme, est en même temps, sans confusion ni mélange des natures, vrai Dieu, il obéit à une loi qui n’est plus celle du psychisme adamique ; et à la méchanceté, à la violence, il répond par la charité qui va jusqu’à donner sa vie. Il n’a donc pas, bien que sa chair ait frémi d’horreur devant le Golgotha, reculé et a accepté de donner sa vie pour mettre fin au règne de la vengeance, de la violence et nous a ainsi donné l’exemple suprême de la grandeur de la vie divine. Joseph Ratzinger n’est donc pas moderniste parce qu’il enseigne ce que l’Eglise enseigne, et ne réduit pas sa doctrine à celle de Luther qui pensait effectivement que la seule finalité de l’inhumanisation était le Sacrifice qui venait effacer les conséquences de nos actes peccamineux. Pour autant, il est vrai que la valeur expiatoire de la Croix ne doit pas être occultée. Encore une fois en théologie, on se rend compte que la difficulté est de tenir en équilibre entre deux hérésies. 
Pierre Essain et Jean Jacobie

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