dimanche 14 juin 2009

Une classe

Pour introduire et illustrer notre propos il est intéressant de relire le passage si connu de l’œuvre de Gustave Flaubert , Madame Bovary , un extrait que nous lisions à l’école primaire avec un sentiment de compassion et d’amusement .  
« Levez- vous » dit le professeur.
Il se leva ; sa casquette tomba . Toute la classe se mit à rire.
Il se baissa pour la reprendre .Un voisin la fit tomber d’un coup de coude ; il la ramassa encore une fois .
« Débarrassez- vous de votre casque », dit le professeur, qui était un homme d’esprit.
Il y eut un rire éclatant des écoliers qui décontenança le pauvre garçon. » 
 Ce passage continue à nous émouvoir et si nous le transposons dans le contexte scolaire de notre époque, beaucoup de questions nous viennent à l’esprit. En effet, les parents accepteraient –ils cette situation ? Que diraient les associations de parents d’élèves ? Et le directeur ? Et certains élèves ? Sans parler des autres acteurs du monde scolaire .Bref, nous pourrions croire que ce pauvre garçon et tous les élèves des classes d’aujourd’hui ne pourraient plus se trouver dans une situation identique. En d’autres termes, ils seraient ainsi heureusement épargnés et préservés de telles humiliations.  
  Or l’intimidation et l’humiliation règnent toujours.Elles prennent différentes formes dans notre organisation scolaire. Nous pouvons imaginer la cour de récréation où se retrouva le pauvre Bovary et l’accueil qui lui fut réservé par ses camarades après les jours qui suivirent ce triste événement , tout en mettant en parallèle nos cours de récréations actuelles, avec par exemple l’accueil d’un nouveau un peu différent des autres.
  Quant à l’aspect vestimentaire dont Flaubert nous montre le ridicule, c’est encore dans nos écoles un vaste sujet .Il faudrait tout le génie de Flaubert pour décrire les vêtements dont sont affublés certains élèves. 
  D’autre part, pouvons-nous imaginer un vol de cahier ou de cartable comme cela est devenu monnaie courante de nos jours, à l’époque de Flaubert ? Quelle procédure alors aurait été mise en place pour récupérer ces objets ? Et que dire de nos procédés ? 
 Poursuivons la lecture de ce passage « Levez-vous, reprit le professeur, et dites-moi votre nom. 
Le nouveau articula, d’une voix bredouillante, un nom inintelligible.
 « Répétez ! »
Le même bredouillement de syllabes se fit entendre couvert par les huées de la classe .
Ce fut un vacarme qui s’élança d’un bond, monta crescendo, avec des éclats de voix aigus (on hurlait, on aboyait, on trépignait, on répétait : Charbovari. »
 Quel est le nom des élèves qui n’a pas encore été ridiculisé ? Certes l’école idéale n’a jamais existé. Mais avons-nous fait de réels progrès pour que chaque enfant puisse trouver sa place et ne pas être brutalisé dans une cour de récréation où règne souvent la loi du plus fort ; dans la rue où il subit toutes sortes de pressions et de tentations pour le décourager d’étudier et de se comporter d’une manière décente ?
  Nous pouvons penser que le professeur de Charles Bovary, homme d’esprit, utilisait son autorité à d’autres fins que celle d’humilier un pauvre garçon . En tout cas il nous est permis de se demander quelle est le poids et les caractéristiques de l’autorité actuelle du personnel enseignant avec toute sa composante hiérarchique.
  La salle de classe a peu changé .Il est vrai que l’estrade parfois a disparu et que les programmes scolaires ont changé, mais la classe est toujours orchestrée par le professeur dont l’autorité est fragile voire même mise en difficulté.
  La classe de Charles Bovary ne comportait que des garçons et nos écoles ont de ce point de vue changé tout en créant parfois de nouveaux problèmes sans trouver de solutions.
  Il y a incontestablement dans la classe de Bovary un malaise .il est difficile d’en trouver la nature. Devons-nous laisser à nos spécialistes du XIXème siècle le soin d’expliquer un tel comportement de la part du professeur avec les préjugés actuels ? Aujourd’hui encore on ne cesse de dénoncer les lourdeurs de notre système scolaire.
  Il est bon de nous rappeler ce que Pie XI déclarait dans sa lettre encyclique DIVINI ILLIUS MAGISTRI DE 1929 PAGE 6 « On discute des méthodes et des moyens propres non seulement à faciliter l’éducation, mais à créer même une éducation nouvelle d’efficacité infaillible » .En effet, le mot méthodologie nous est servi copieusement avec la méthode, qui est la même pour tous, pour arriver à des résultats peu probants .
  L’enfant actuel n’est-il pas parfois dans une situation pire que celle de Charles Bovary ? Flaubert ne critique-t-il pas indirectement l’enseignement de son époque qui va faire de Charles Bovary un être en échec permanent ?
  Ceux qui « conceptualisent » les sujets d’examens pourraient s’inspirer du texte de Flaubert pour les faire réfléchir sur la condition humaine des élèves et des enseignants d’aujourd’hui et mesurer les progrès qui ont été accomplis depuis. Cela donnerait de surprenants résultats en nous orientant vers de nouvelles pistes de recherche !
  Pie XI dénonçait dans la même encyclique le contexte culturel. « La vigilance à notre époque, doit-être d’autant étendue et plus active que les occasions de naufrage moral ou religieux se sont accrues pour la jeunesse sans expérience. Notons spécialement les livres impies et licencieux , dont beaucoup par une tactique diabolique , sont répandus à vil prix ; les spectacles du cinéma … Ces moyens merveilleux de diffusion , qui peuvent , dirigés par de saints principes, être de la plus grande utilité pour l’instruction et l’éducation , ne sont que trop souvent subordonnés à l’excitation des passions mauvaises et à et à l’insatiable avidité du gain » Depuis, nous pouvons constater que les nouveaux moyens de communication donnent une résonance encore plus grande à ce texte .  
  CHRISTIAN BAC

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