jeudi 13 mai 2010

Controverse sur le mot "barbare"


A propos de la barbarie des Vikings

BOYER, Régis, Le Christ des barbares : le monde nordique (IXème-XIIIème siècle), Paris, 2007. ISBN 9782204027663. 23, 10 euros

             Il est inutile de présenter Régis Boyer. Soulignons simplement que c'est le chercheur qui a révolutionné la perception que l'on avait des germains scandinaves. Grâce à ses études les barbares  romantico-folkloriques ont laissé place à une perception bien plus réaliste d'un peuple avant tout caractérisé par son pragmatisme.
            L'ouvrage écrit par le professeur Boyer est inscrit dans la collection Jésus depuis Jésus desÉdition du cerf qui a pour projet d'étudier l'image du Christ dans de nombreux peuples à travers l'Histoire. Dans le cas viking, c'est la perception du Christ qu'ont eu les Scandinaves, mais au delà de cela, les relations entre Païens et Chrétiens, la victoire du christianisme et ses raisons.
             Nous nous souvenons tous de nos enseignants qui ont présenté depuis 150 ans de manière complaisante ces barbares venus du Nord pour détruire les abbayes, piller leurs richesses et massacrer les moines. Cette vision partielle et partiale ne saurait rendre justice à ce peuple.
 Régis Boyer tord le cou à l'idée du  sauvage Scandinave rapporté par une lecture naïve des auteurs chrétiens carolingiens. Le « barbare» est en réalité un fin homo religiosus. Les croyances des Scandinaves sont complexes, et un fait central de la démonstration de l'auteur est que la religion viking « s'adresse à l'ici et au maintenant » : les dieux sont adorés parce qu'ils sont efficaces. Loin d'être des barbares sanguinaires, les Germains du Nord aspiraient à la paix et aux bonnes relations sociales. Leur religion est tout à fait à cette image : le Scandinave adore les dieux de ses aînés, mais reste tolérant.
             L'élément qui nous intéressera le plus, le centre de l'ouvrage, est la relation qu'avaient les Scandinaves avec le christianisme.
Le professeur Boyer rappelle que les Germains du Nord entretenaient des relations commerciales avec le monde chrétien dés le VIème siècle. Les diverses missions, les contacts avec les Celtes ou les Carolingiens, et l'obligation pour les païens de recevoir la primosignatio pour commercer avec les Chrétiens,  acclimatèrent les Scandinaves à l'image du Christ.
En parallèle de ces relations, le professeur Boyer démontre l'existence de structures religieuses communes entre les deux religions. Par exemple le dieu Baldr rappelle fortement le Christ : un dieu jeune, beau, aimé de tous et qui règnera sur le monde après sa destruction.
Malgré tout un concept fondamental de la religion chrétienne reste totalement étranger à la pensée religieuse scandinave : le repentir et le pardon. Un dieu réclamant d'aimer son prochain, de se repentir de ses péchés, et de pardonner est quelque chose de totalement nouveau pour les Germains du Nord qui étaient des hommes de loi et de droit (ce qui bien entendu n'exclut pas l'amour). Ceci dit on comprend mieux comment s'implanta le christianisme. C'est en grande partie par le biais de la politique que la conversion se fit chez les Germains du Nord. L'accession à des terres dans l'empire carolingien était soumise au baptême. Les relations commerciales et politiques avec l'empire étaient facilitées par la conversion ou du moins la primosignatio.
Les rois convertis furent également les vecteurs de l'intégration de la Scandinavie à la Chrétienté. Saint Olafr de Norvége fut ainsi un formidable évangélisateur.

Mais le Christ fut apprécié également pour sa puissance, ce qui en premier lieu lui permit d'être adopté comme un des dieux des vikings.
Cette intégration prit ensuite lors de la conversion du Nord la direction opposée. Les dieux scandinaves furent intégrés à la religion chrétienne en tant que saints. Ainsi Saint Michel est-il proche d'Odhinn, ils sont porteurs de lances, psychopompes.
Le Christ lui-même fut sujet à adaptation culturelle, la plus intéressante et émouvante est celle en tant que dreng gódr, le bon camarade altruiste et de qui vient tout aide. Du fait de son omniprésence, il est le dieu le plus puissant et sur qui on peut compter.
             Cet ouvrage est indispensable à la lecture pour le chrétien et l'historien. Il est un moyen de comprendre l'intégration du christianisme en Europe du Nord dans toute sa complexité, mais nous fait également réfléchir sur une part de notre folklore et de nos saints locaux qui recouvrent régulièrement d'anciens paganismes.
Raphaël Nicolle
Université de Paris 10

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