jeudi 6 mai 2010

La guerre et la paix, tel est le nouveau thème qu'abordent les Cahiers Disputatio dans ce nouveau numéro qui sera en librairie le 15 mai 2010.



Méditer sur la guerre et donc la paix, en une période de crise internationale n’est pas inutile, tant il est vrai qu’il ne suffit pas de crier « Paix ! Paix ![1] » pour obtenir la concorde entre les hommes et les peuples. Cela est d’autant plus urgent que la théorie du choc des civilisations réaffirme l’idée très répandue que les religions alimenteraient nécessairement les conflits ; le Père Maldamé souligne d’emblée ce lien : « La guerre fait partie de notre quotidien – ou du moins sa mémoire, son spectacle médiatisé ou la crainte de la guérilla urbaine qui couve. Notre réflexion sera attentive à ce fait pour en percevoir les raisons et, en particulier, étudier  la responsabilité des religions dans ses motivations. C’est nécessaire, car la plupart des conflits actuels sont habités par des références religieuses : à l’évidence, le conflit concernant Israël déchire la Terre sainte mais aussi les guerres dans les Balkans avec la si cruelle purification ethnique, et encore les guerres entre chiites et sunnites en Irak, plus loin encore les conflits entre musulmans et hindous… Tous sont motivés par l’appartenance religieuse. » Mais, pour autant, y a-t-il un lien de causalité directe entre les deux ? Le Père Maldamé en montre la fragilité : « Si la violence liée aux religions n’est pas le fait de déviants, mais se manifeste en son cœur, il faut examiner les analyses sociologiques qui essaient de l’expliquer par des facteurs non religieux. Cette explication est très présente dans le discours universitaire. Celui-ci est attentif à reconnaître que la violence est d’abord sociale ou économique – et plus profondément psychologique. »
C’est ainsi qu’Yves Roucaute et l’abbé Michel Lelong dans leurs articles respectifs, contestent cette logique, préférant penser que toutes les grandes spiritualités, chacune dans leur propre langage, nous invitent à dominer nos pulsions et nos égoïsmes. Ahmed Aboukorah, philosophe musulman, s’insurge lui aussi contre cette idée que Catholiques et Musulmans seraient condamnés à se faire violence.
C’est bien cette paix entre les hommes que nous propose de réaliser le Christ, ainsi que le souligne Paul Mirault dans son article consacré à Claude Tresmontant, mais pas n’importe quelle paix, la paix qui vient de Dieu, puisqu’en dehors de Lui, nous ne pouvons que bâtir sur le sable[2]. La paix est donc avant tout une humanité se laissant aimée par Dieu, s’abandonnant à Dieu et trouvant alors en lui le chemin d’une réconciliation durable et solide. La paix commence donc dans l’Eglise du Christ et a contrario, comme le souligne le Père Jean-Michel Gleize, « saint Thomas d'Aquin (…) définit le schisme, qui est la rupture de la paix dans l'Église, comme un péché contre la charité. »
Pour autant s’il est effectivement faux de rendre les grandes religions, et en tout cas le christianisme, responsables des conflits, quand elles prétendent apporter la paix, il reste vrai que les textes même du Nouveau Testament ne manquent pas de nous provoquer, ainsi que le montre Jeanine Cadieu, par un certain nombre de paradoxes qui nous invitent à la prudence, comme cette phrase du Christ selon laquelle le Règne de Dieu appartient aux violents[3]. On pourrait également rappeler ce passage de l’Evangile, dans lequel Jésus encourage des soldats romains à se contenter de leur solde sans chercher à les décourager de poursuivre leur carrière dans les armes[4]. Gérard Guyon nous rappelle que « Dans la tradition de l’AncienTestament dont elle hérite, l'Epître aux Hébreux contient encore un hommage aux héros soldats des temps de l’Ancienne Alliance[5]. Quant aux écrits du Nouveau Testament, ils font une large place aux métaphores militaires[6]. Les plus connues parlent des équipements des soldats : la cuirasse de la justice, le bouclier de la foi, le casque du salut et le glaive de l'esprit. L'Evangile de saint Luc considère avec aménité les militaires qui font l'objet d'un soin tout particulier ; et l’on sait que le premier des baptisés, parmi les païens, est le centurion Corneille[7]. » Les théologiens catholiques, à commencer par saint Augustin, développeront d’ailleurs le concept de « guerre juste », comme nous le rappelle Michel Mazoyer.
On voit donc que l’absence de conflit n’est pas une fin en soi, « la paix ne se réduit pas à une absence de guerre, fruit de l’équilibre toujours précaire des forces[8] », et que la théologie catholique nous éloigne d’un pacifisme qui pourrait être mal compris et qui se nourrit d’illusions idéologiques (voir l’article de Pierre Essain). Ces illusions qui voudraient nous interdire l’usage de la guerre ne manquent d’ailleurs pas d’être aussi contradictoires qu’absurdes comme le met en évidence Michel Nodé-Langlois dans son article consacré à l’étude de l’article 40 de la IIa-IIae de la Somme Théologique : « pas plus qu’aucune autre, l’interdiction réclamée de la guerre ne pourrait espérer se traduire dans les faits sans s’assortir d’une possibilité de coercition pour réprimer sa transgression. »

C’est ainsi, comme le montre très bien Gérard Guyon, que les chrétiens des premiers siècles ne jugent pas le fait de la guerre de manière profane, eux pour qui « la guerre est la conséquence du péché », une punition immanente[9], et donc « un remède au mal selon le Dieu des armées biblique » dont la « finalité est alors la paix ». « Il faut même ajouter à ce constat la nature particulièrement combative du langage des Ecritures, lorsqu’il est question de ceux qui menacent la foi. Ils sont présentés comme des troupes au service de Satan, l’Antéchrist qui se proclame le chef de ce monde. Il s'agit de combattre ces ennemis. Il faut les démasquer et ne pas perdre de vue qu'ils sont conduits par celui qui est l'archétype du danger qui menace le chrétien[10]. » C’est en quelque manière ainsi que le philosophe allemand Hegel voyait dans la guerre une ruse de la raison, une nécessité même de l’histoire. « En d’autres termes, souligne Jean Cachia commentant le philosophe, dire que la guerre est un mal absolu, alors qu’elle se produit en fait, revient à nier la providence. »
Au-delà de la philosophie et de la théologie, cette thématique a traversé l’histoire de la littérature chrétienne ; Claude Moussy, Marie- Anne Evrard, François-Marie Haillant et Michel Bouvier nous en donnent quelques aspects frappants comme le poète latin Dracontius, mais encore Ronsard, Fénelon et quelques autres.
Rompant avec l’idée répandue aujourd’hui et partagée parfois par des clercs, P. Guelpa, prenant l’exemple de la conversion de l’Islande,  qui  s’est faite sans violence, dans le respect et la tradition du pays, montre que le christianisme est fondamentalement une religion fondée sur la paix et le respect des autres civilisations.
Paul Mirault & Michel Mazoyer

[1] Jérémie 6.14.
[2] Matthieu 7.26.
[3] Matthieu 11.12.
[4] Luc 3.14.
[5] Epître aux Hébreux 11, 32-34.
[6] Saint Paul, Epître aux Corinthiens I, 9, 26-27 ; II, 10, 3-4 ; Ephésiens 6, 14-16 ; I Colossiens, 29 ; II Colossiens, 1 ; I Thimotée2,3 ; II Thimotée 4, 7.
[7] Saint Luc 7, 1-10 ; Actes 10.
[8] Paul VI, Populorum progressio
[9] Léon X, exsurge Domine : « Se battre contre les Turcs, c’est s’opposer à Dieu qui par eux visite nos iniquités ».
[10] Evangile de saint Matthieu 7, 15 ; Evangile de saint Jean 10,5 ; Actes 20, 28-32.

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